Magali nous a contacté via Facebook pour rencontrer d'autres plongeurs ou plongeuses qui pourraient partager avec elle sa passion ou ses sorties.
Vous ne verrez pas le Handicap de Magali au premier regard.
D’ailleurs, elle-même ne vous verra pas au premier regard !
Magali est non-voyante.
Bonjour Magali peux-tu te présenter ?
Je suis Magali, j’ai 49 ans, 3 enfants et suis maîtresse de 2 chiens-guide, un papy en retraite et un jeunot en activité !
Comment s'est installé ta maladie ?
J’ai tout d’abord été une enfant tout à fait ordinaire, puis à l’adolescence, il m’a été diagnostiqué une maladie dégénérative de la rétine.
J’ai tendance à dire qu’elle a mis plus de 25 ans à faire son oeuvre et aboutir à une cécité complète.
Face à cela tu aurais pu faire le choix de rester dans ton canapé et de subir au contraire tu as décidé de vivre comme tout le monde.
Peux-tu nous parler de ta petite famille de ton travail ?
J’ai donc 3 enfants, deux garçons de 23 et 20 ans et une fille qui aura d’ici peu 18 ans.
Je suis psychologue, sophrologue et Hypnothérapeute et exerce en libéral sur TOURS.
Être psy non voyante est particulier, ce n'est pas forcément simple de franchir la porte pour aller consulter. Du coup ton travail est encore plus axé sur l’écoute, tes patients sont peut-être plus à l’aise de te parler ?
Mesures-tu une différence dans la relation que tu as avec tes patients ?
Comment tes patients t’abordent-ils les premières fois ?
Il est en effet très difficile de consulter pour la première fois, ainsi je félicite toujours chacun d’entre eux d’avoir le courage d’exprimer, de confier leurs problèmes et d’oser demander de l’aide, car dans notre société, l’aveu de faiblesse n’est pas bien perçu.
Consulter un psychologue qui a un handicap et donc qui ose exposer sa «vulnérabilité » dédramatise. Comme pour certains, le fait que je ne les vois pas les rassure.
Ils ne se sentent pas observés,
jugés.
Sinon, au-delà de mon handicap, ma pratique est à l’image de ma personnalité : écoute bienveillante, attention soutenue, empathie à tout instant, optimisme contagieux et autant que cela m’est permis une pointe d’humour !
Nous échangions de ton quotidien, tu es une femme très dynamique. Quelles sont les activités que tu as pratiquées ?
Enfant, je nageais en club, puis à l’adolescence, j’ai quitté la piscine pour le dojo et j’y suis restée jusqu’à il y a peu pour pratiquer le karaté, jusqu’au deuxième DAN et au titre de championne de France de parakaraté en kata.
Pratiquer le sport, habiter pleinement mon corps est vital pour moi, alors j’ai également expérimenté le saut en parachute, le ski, le rafting…
Et puis il y a un an, j’ai rencontré Agnès, MFEH1 lors de mon baptême de plongée en piscine.
Et grâce à elle une nouvelle stupéfiante histoire a commencé …
Chaque jour j’ai envie de la remercier pour cet univers qu’elle m’a offert de découvrir !
Ah oui quand même championne de karaté, parachute, plongée…Tu n’as peur de rien !
N’est-ce pas un peu fou d'avoir tenté tout cela ?
Mais, où se situent les limites de la folie?
Bonne question pour un psy ! Lol !
Sûrement que cela peut paraître fou pour certains, mais je répondrai que d’un côté je sécurise toujours mes pratiques, car je tiens terriblement à la vie, et que de l’autre côté j’ai tellement besoin de vivre, de me sentir vivante et d’habiter pleinement mon corps qu’expérimenter toujours plus m’est vital.
J'ai une question toute particulière concernant la plongée que beaucoup de personnes pourraient se poser :
Pourquoi la plongée en tant que non ou mal-voyant ?
Bien évidemment, je ne plonge pas pour observer toutes cette faune et flore que vous avez tant de bonheur à admirez, mais j’ai, je crois moi aussi, vraiment beaucoup à découvrir…
En octobre 2021, Agnès m’a invitée à Cerbère pour mes premières plongées en mer.
Lors de la présentation de chacun au début du stage il m’a été demandé quelles étaient mes attentes…
J’ai répondu en toute sincérité que je n’en avais aucune idée, que je ne savais pas à quoi m’attendre… »
J’étais simplement habité par la curiosité, l’envie de découvrir, d’expérimenter, de m’amuser, de vivre du nouveau….
Et puis tout de suite ça a été extraordinaire et de pleins de manières différentes !
Étre simplement immergée, enveloppée, en apesanteur, dans le silence (fabuleux pour moi qui vit dans un monde remplie de sons, de paroles, de synthèses vocales), le temps suspendu comme si on avait fait un arrêt dans le temps, comme s’il s’était arrêté juste là, pour moi.
Et je pense que c’est encore plus facile pour moi, puisque je n’ai pas d’image pour me distraire, me déconcentrer. Je peux imaginer que je suis là seule avec moi-même, seul le contact de la main de mon encadrant sous la mienne me connecte à la réalité.
Cette réalité qui est aussi très belle !
Et c’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé lors de ma première plongée….
Fabirama mon encadrant EH2 m’a déposé quelque chose dans la main…
Au début, je n’ai pas su de quoi il s’agissait …
Prenez juste un instant pour imaginer.
Vous êtes dans l’eau, dans le noir,
vous ne voyez rien et vous n’entendez rien.
Vous n’avez donc pas idée de ce qu’il se passe autour de vous.
Vous n’imaginez même pas qu’on vous apporte quelque chose.
Et puis, vous sentez un truc dans votre main … !!!
Alors, tout en douceur, caressant du bout des doigts, curieuse, je suis allée à la découverte de ce mystère …
Et en un instant j’ai reconnu !
J’ai explosé de joie !
Une étoile de mer !
Quel extrême bonheur !
Je savais que je ne pouvais pas voir, mais je ne savais pas que je pourrais quand même découvrir la faune et la flore sous-marine…
À ce moment-là, j’étais redevenue une petite fille le jour de Noël !
Pour rassurer ceux qui s’inquiète sur le fait que j’ai touché les fonds marins, je peux simplement vous dire que s’il n’y a que les non-voyants qui touchent, vu qu’il n’y en a quasiment pas en plongée et qu’en plus nous touchons très doucement car c’est ce qui nous permet d’aller finement à la découverte, il n’y a pas de risque pour que nous abimions la richesse sous-marine.
Pourquoi aller plonger en mer ?
Tout d’abord c’est une ambiance, celle de la mer et j’aime la mer, l’odeur de ses embruns, le flux et le reflux de ses vagues, les cris des mouettes et chacun me permet d’imaginer, de me représenter, de rêver ce splendide paysage qui échappe à mes yeux.
Et puis, il y a la préparation de la plongée : la combinaison et tous ses accessoires, gréer ma propre bouteille, monter sur le bateau sans traîner,, naviguer, s’équiper et enfin !
S’inviter dans l’immensité !
Quels sont tes ressentis ?
Que recherches-tu ?
Vivre une expérience extraordinaire, être portée, supportée, enveloppée par l’eau être en communion avec elle et finalement tout oublier.
Être minuscule dans l’immensité silencieuse me permet de m’apaiser, de relativiser la vie au dehors.
Qu’as-tu besoin comme aménagements pour pouvoir plonger ?
Pour commencer j’ai besoin d’un EH2, sans lui pas de plongée.
Et puis, nous devons nous mettre d’accord sur notre code de communication.
Tandis que j’effectue exactement les mêmes codes que les voyants, mon encadrant lui doit les effectuer tactilement pour que je les ressente.
Avec une pression sur mon poignet, il me demande comment je vais.
Il frictionne un de mes bras pour me demander si j’ai froid.
Il saisit mes bras et les met en croix pour me signifier que c’est la fin de la plongée… bon ce n’est pas le signe que je préfère!
Et nous en inventons au fur et à mesure des plongées et de nos besoins.
Quel est ton niveau ?
A Cerbère, j’ai eu l’immense chance de plonger huit fois et j’ai alors validé mon PESH 1, signifiant que je pouvais plonger à 6m.
En revenant à Tours, émerveillée de ce que j’avais vécu, je me suis renseignée pour trouver un club près de chez moi.
C’est là que j’ai fait la connaissance de Pierre, EH2 à Touraine Plongée !
Depuis, il me dévoue ses vendredis soirs, ainsi que des dimanches dans la fosse de CIVAUX dans la Vienne.
Ayant progressé au niveau technique, il m’a validé en mars dernier mon PESH 2, signifiant que je peux plonger à 12m.
Aujourd'hui que recherche tu ?
Plonger et encore plonger !
Faire les exercices, me stabiliser juste pour le plaisir, partager mes découvertes, mes progrès, mes joies avec les autres plongeurs et j’ai la chance de pouvoir plonger un dimanche par mois dans le cadre de Handisub 37 avec tous les EH2 qui le souhaitent.
Et puis, plonger à nouveau en mer pour retrouver cette ambiance du stage au combien chaleureuse, cette excitation du départ avant la plongée, cet apaisement une fois immergée, l’appréhension de tout ce qu’il m’est possible de découvrir du bout des doigts, tels éponges, oursins, spirographes, anémones…
J’aimerais aller à la découverte de mers chaudes, afin de ressentir la caresse, sensuelle de l’eau, la pression directement sur ma peau et encore tout ce que je ne sais pas, tout ce que je n’imagine même pas…
J'imagine que déjà dans ton quotidien tu dois t’obliger à faire confiance envers l’autre, mais alors en plongée ce sentiment doit être amplifié ?
En effet, j’ai appris à faire confiance à ceux qui en sont dignes.
J’ai compris que si je voulais faire autre chose que regarder la vie passer ou pire encore attendre qu’elle passe, j’avais besoin des autres.
Au départ, je suis déjà très sociable et j’adore partager de bons moments avec des personnes positives, joyeuses et chaleureuses.
En plongée, cela ne m’a pas posé de problème.
J’ai très vite observé le sérieux, la rigueur des moniteurs dès que nous commencions à nous préparer, ce que j’apprécie beaucoup.
De nature curieuse, je pose énormément de questions, j’aime apprendre, comprendre, mettre du sens sur ce que je ne maitrise pas, ne vois pas, ne sais pas encore. . En outre, cela me permet de baliser mon environnement, ma sécurité, que je remets en partie dans les mains de quelqu’un d’autre.
Comment vis-tu une plongée ?
Que partages-tu ?
Les moniteurs sont extrêmement généreux, souhaitant me faire partager leur passion, pour cela ils sont très attentifs à mes besoins, mes demandes, mes envies.
Nous cherchons ensembles à adapter la pratique pour que j’y ai accès en fonction de ma singularité lorsque c’est nécessaire.
Sous l’eau, ils doivent être d’une part mes yeux et d’autre part réussir à communiquer avec moi sans les signes qu’ils ont appris.
Et puis, ils ne peuvent pas me montrer les poissons, alors ça les déstabilise.
Cela leur demande de sortir de leur fonctionnement habituel, de réinventer la plongée.
Et finalement, on tâtonne, on adapte, on apprend et on se réjouit ensembles.
Par contre, mon corps fonctionnant parfaitement bien, je peux donc effectuer tout ce qui est d’ordre technique sans difficulté.
D’ailleurs, j’adore faire tous les exercices que l’on me propose.
Chaque réussite me remplit de joie, chaque réussite est un nouvel exploit !
Penses-tu que ton handicap t'a donné encore plus de rage et l'envie de faire des choses ?
Il est évident que dans ma situation, la cécité m’impose des limites bien plus étroites, des possibilités bien plus restreintes qu’aux valides.
Mais, j’ai beaucoup de mal à tolérer ces limites, ces contraintes, qui me sont imposées, alors autant qu’il me l’est possible, je les contourne, je les enjambent, je les snobe, je leur fait un pied de nez !
Mais il faut aussi bien souligner que c’est avec l’aide de ceux qui ont également envie de contourner ces limites que j’y parviens.
C’est un super travail d’équipe !
Penses-tu que tu aurais entrepris tout cela sans ton Handicap ?
Le handicap n’est qu’une de mes innombrables particularités.
Il prend effectivement une certaine place dans ma vie, mais ma personnalité et mon parcours de vie font largement aussi celle que je suis aujourd’hui.
Que pourrais-tu conseiller à des personnes non malvoyantes qui voudrait découvrir la plongée ?
Je leur conseillerais avant tout, juste d’oser essayer, car ce n’est qu’en expérimentant personnellement qu’elles pourront savourer la joie d’une plongée, le bonheur d’être enveloppée, le délice de l’apesanteur, l’apaisement du silence…
En conclusion de cette interview et j'ai envie de dire :
Magali non voyante … et alors ?
Merci Magali pour cet entretien très riche et je suis pressé de pouvoir partager une plongée avec toi, ce serait avec grand plaisir.
Ton dynamisme et ton sourire sont un vrai rayon de soleil.
Merci beaucoup Patrick pour ta gentillesse, ta générosité et ton engagement auprès de ceux qui n’ont pas un accès simple à la plongée.
Et avec grand plaisir de partager une plongée avec toi.
Je m’en réjouis déjà !
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